"Tout l’automne à la fin
n’est plus qu’une tisane froide. Les feuilles mortes de toutes essences
macèrent dans la pluie. Pas de fermentation, de création d’alcool : il faut
attendre jusqu’au printemps l’effet d’une application de compresses sur une
jambe de bois.
Le dépouillement se fait en
désordre. Toutes les portes de la salle de scrutin s’ouvrent et se ferment,
claquant violemment. Au panier, au panier ! La nature déchire ses manuscrits,
démolit sa bibliothèque, gaule rageusement ses derniers fruits.
Puis elle se lève brusquement
de sa table de travail. Sa stature aussitôt paraît immense. Décoiffée, elle a
la tête dans la brume. Les bras ballants, elle aspire avec délices le vent
glacé qui lui rafraîchit les idées. Les jours sont courts, la nuit tombe vite,
le comique perd ses droits.
La terre dans les airs parmi
les autres astres reprend son air sérieux. Sa partie éclairée est plus étroite,
infiltrée de vallées d'ombre. Ses chaussures, comme celles d'un vagabond,
s'imprègnent d'eau et font de la musique.
Dans cette grenouillerie,
cette amphibiguïté salubre, tout reprend forces, saute de pierre en pierre et
change de pré. Les ruisseaux se multiplient.
Voilà ce qui s’appelle un beau
nettoyage et qui ne respecte pas les conventions ! Habillé comme nu, trempé
jusqu’aux os.
Et puis cela dure, ne sèche
pas tout de suite. Trois mois de réflexion salutaire dans cet état ; sans
réaction vasculaire sans peignoir ni gant de crin. Mais sa forte constitution y
résiste.
Aussi, lorsque les petits
bourgeons recommencent à pointer, savent-ils ce qu’ils font et de quoi il
retourne — et s’ils se montrent avec précaution, gourds et rougeauds, c’est en
connaissance de cause.
Mais là commence une autre histoire, qui dépend
peut-être mais n’a pas l’odeur de la règle noire qui va me servir à tirer mon
trait sous celle-ci."
Francis PONGE, Le parti pris des choses
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire