Je n’étais pas vraiment retournée au
Vieux-Port depuis cet hiver. Les dernières images qui m’en restaient étaient
celles de grandes étendues blanches, du Saint-Laurent immobile et gelé, de la
patinoire Bonsecours et de ses joyeux patineurs, d’un beau soleil d’hiver et de
sa réverbération aveuglante sur la neige. Des morsures du froid dans les jambes
et les mains, adoucies par la caresse du soleil. D’un ciel tout bleu et pur. Ma
rencontre avec l’hiver montréalais.
Il n’y a bien sûr plus de glace depuis longtemps au
Vieux-Port, si ce n’est en cornet. Les pédalos ont remplacé les patins. La silhouette des passants s'est affinée, dénudée, et assouplie. Les
terrasses se sont remplies de monde, et les enfants jouent toujours, mais à des
jeux différents.
Je me suis assise sur un banc, et je suis restée là un
long moment. À observer les promeneurs et les bateaux, dans la moiteur de cette
journée lourde d’orages. L’humidité formait un brouillard qui voilait
l’horizon, et ma peau était toute imprégnée de cet air immobile et tiède. Le cri
des mouettes, l’odeur marine du Saint-Laurent mêlée à celle des moteurs de
bateau, les vendeurs de glaces et le bruit des vagues, tout m’évoquait la douce
atmosphère d’une ville côtière. La vision du fleuve se télescopait dans mon
esprit avec des images d’autres rives, celles de l’Hudson à New York,
l’embouchure du Tage à Lisbonne, la méditerranée niçoise.
Devant moi déambulaient les promeneurs du dimanche. Une
foule au pas lent, bigarrée, bavarde et joyeuse. Jamais la diversité ethnique
de Montréal ne m'avait autant frappée. Slaves, Sud-américains, Africains,
Magrébins, Indiens, Européens, Asiatiques...c'est le monde entier qui défilait
sous mes yeux. Des premières, deuxièmes ou troisièmes générations, et
aussi sans doute quelques touristes. Les chiffres de l'immigration
montréalaise me revenaient à l'esprit : près de quarante mille immigrants chaque
année, plus de cent nationalités représentées à Montréal… J'entendais
parler toutes les langues, mais surtout cette langue française plurielle d’ici,
teintée de mille accents, venue de tous les horizons de la francophonie et
d'ailleurs.
On entendait au loin, de l’autre côté
du fleuve, les rumeurs du Piknic Électronik au parc Jean Drapeau. Là-bas, des
gens faisaient la fête, dansaient, se baignaient, jouaient au volleyball.
Je n'ai pas pris de photo cette après-midi-là. J'aurais pu
photographier ma glace à la mangue, ou ce petit caneton sur le canal qui, fatigué
de remuer les pattes, avait grimpé sur le dos de sa maman canard et amusait les
passants. Ou les beaux bateaux du port et leurs occupants, qui lézardaient sur le ponton autour d'un verre de vin. Mais je n'avais pas anticipé une quelconque envie d'écrire, et donc encore moins celle d'illustrer. Il ne me
reste donc que des mots pour partager tous ces moments, m'en souvenir, et les
prolonger encore un peu avant leur fuite.